LES GRATITUDES DE DELPHINE DE VIGAN
Publié le 28 / 05 / 2019
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Le dernier livre de Delphine de Vigan publié chez Lattès est un petit bijou de délicatesse, empreint de douceur et de tristesse. Sur la couve noire, se dessine un coquelicot rouge. Une fleur tendre et fragile, aussi éphémère que le passage d'une vie sur terre...
Après Les Loyautés, ce nouvel opus très court aborde la difficile question de la vieillesse et des mots que l'on aime qui s'enfuient avec elle.
Dans ce court récit si justement écrit qui se lit d'une seule traite, un dialogue à trois voix s'instaure. Autour de Marie et de Jérôme, se tisse l'histoire passée et à venir de Michka, une adorable petite vieille dame qui devient, avec l'âge, de plus en plus faible et ne peut rester seule chez elle après plusieurs chutes. De ces chutes maladroites découlent peut-être les "chut" que son cerveau lui impose peu à peu, obligeant cette ancienne correctrice prolixe à chercher de plus en plus les mots de ses phrases. Et à venir s'installer dans une maison de retraite pleine à craquer de personnes isolées dont le monde se rétrécit comme une peau de chagrin. Perdre les mots affole Michka qui ne peut se résoudre à ne pas retrouver le fil de son passé, et à travers lui, le couple qui lui a sauvée la vie alors qu'elle n'était qu'une enfant, innocente de la guerre et de ses tourments.
Dans des paragraphes d'une extrême poésie et parfois d'une vraie drôlerie, Delphine de Vigan l'écrivaine raconte non pas la peur, mais l'angoisse de la perte des mots. De ces mots qui construisent notre identité, racontent notre histoire, révèlent notre personnalité. De ces mots qui se mélangent et se confondent, qui s'assemblent et se ressemblent jusqu'à s'embrouiller, mêlant leurs sonorités comme de nouvelles sororités, créant des lapsus parfois délicieux parce que jamais déplacés mais toujours décalés. La mort des mots qui ne tient peut-être finalement qu'à une lettre...
Au fil des pages qui défilent, les yeux se brouillent de larmes, l'émotion nous étreint. Comme toujours chez Delphine de Vigan, l'écriture est belle, lumineuse et les personnages, terriblement attachants. Aux côtés de Michka, il y a Marie, l'amie fidèle, la jeune confidente sur le point d'accoucher qui ne peut se résoudre à voir partir sa vieille amie en Ehpad. Il y a Jérôme, l'orthophoniste dévoué. Lui aussi se prend d'emblée d'amitié pour ce petit bout de femme volontaire au caractère affirmé qui cache une bouteille de whisky dans son placard et voit des démons (dé-mots) un peu partout, la nuit surtout.
Un très beau roman, à lire le cœur grand ouvert.