PRIX PLUME D’AGENCE

Publié le 01 / 06 / 2017

Trois livres empilés

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Depuis 2009, l’agence de publicité parisienne Il Était Une Marque (devenue depuis La Fusée) a eu l’idée géniale de lancer le Prix Plume d’Agence, soit un concours de nouvelles s’adressant uniquement aux professionnels de la pub et de la com. La première année, ma nouvelle Mère de Glace a fait partie de la sélection et a été publiée. Petit avant-goût d’une histoire qui risque de vous donner le mal… de mère.



— J’ai peur, dit-elle en me regardant bien en face.
Elle est là, yeux plissés, moue d’enfant gâté, iPod vissé sur les oreilles. Ce n’est pas possible, elle dort avec.
— Maman va le savoir. J’vais me faire tuer. Dans quoi je me suis laissée embarquer ?
Peur ? Savoir ? Tuer ? Mais de quoi peut-elle bien avoir peur ma petite Charlotte ? Intelligence. Beauté. Enfance sans souci. Famille sans problème. La nature lui a tout donné. Quatorze ans et des poussières (elle dit en avoir quinze). Un petit bout de femme encore fragile, tendre comme un biscuit avec de grands yeux noisette, des taches de rousseur et des fossettes en accroche-cœur. Oui, mais voilà. Charlotte n’aime plus sa mère.
Plus du tout. Si elle pouvait, elle la pousserait bien sous un bus dans la rue, comme ça, sans regarder. Et hop, une maman en moins dans le paysage, qu’est-ce que ça soulage. De l’air ! De l’air ! Un truc s’est passé cet été en Corse. Un mensonge. Une sombre histoire de Vespa « empruntée ». Convocation au poste de Pinarello un matin à l’aube. Le père et les frères n’ont pas compris. Ou font semblant. C’est bien les mecs. Et moi, je me retrouve au milieu d’elles, écartelé entre raison et émotion à ne rien pouvoir faire, que les regarder se regarder et s’envoyer à longueur de journée des regards revolvers, des flèches, des piques, des mots méchants comme des poignards. Je suis muet. Loin d’être aveugle mais impuissant. Madame aussi est remontée comme une pendule. Elle a son mot à dire, et retient mal son agacement. Ras-le-bol de cette énergumène de fille qui parle verlan comme elle respire avec des « Fouhh » exaspérés, longs comme le bras. Qui reste collée à son écran MSN (Aime M Moi, c’est ça ?) 24 heures sur 24 à taper des inepties bourrées de fautes de syntaxe et d’orthographe. Et qui, surtout, a eu la très mauvaise idée de redoubler.

— Qu’est-ce que j’ai fait au ciel pour avoir une fille pareille ? Quatorze ans et déjà envie de sortir. Glander en ville entre copines. Faire des boums. Aller en « boâte ». Mettre des talons hauts et des jupes courtes. Jouer à la grande en se maquillant comme une voiture volée. Avoir un profil sur Facebook. Pouah ! Même elle, jeune, n’était pas comme ça. En tout cas, elle ne s’en souvient pas. Il faut reconnaître que Facebook n’existait pas, ni Internet. À peine les ordinateurs d’ailleurs.

Autres temps. Autres mœurs. Elle a un peu la mémoire courte, la mère. Mai 68, l’émancipation de la femme, Beauvoir, les mini-jupes et les grandes bottes, les soutifs qui sautent, la pilule et les Françoise libérées – Giroud, Sagan, Hardy – c’était déjà du temps de sa propre mère. Pas si loin, sa jeunesse. Elle a été ado, Lucie, elle aussi. Dans les années 80. Les années pop, fluo, la New Wave, le sida, U2, The Cure et compagnie… Oui mais voilà, depuis la fin des vacances, la mère et la fille se cherchent, se charrient, se chamaillent, rivalisent pour savoir laquelle des deux aura le dernier mot. Mère. Fille. Des siècles que ça durent et un horizon tout bouché. Difficile de grandir. Pas facile de vieillir. Je suis bien placé pour le savoir.

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